Comment j’ai créé Trust My Science (en caleçon), affronté le COVID long… et fini par fonder The Last Journal
Ce que ça coûte vraiment de faire vivre un média scientifique indépendant.

1. Dans ma chambre, en caleçon, la tête dans les étoiles
Je m’appelle Jonathan Paiano, et si je vous dis qu’au début, j’ai créé Trust My Science littéralement en caleçon, ça vous fera peut-être sourire. Pourtant, c’est la vérité. Nous sommes en 2016, je vis encore chez ma mère, dans une petite chambre que je transforme en « QG de la vulgarisation scientifique ». Je suis ingénieur en systèmes d’information, mais ma grande passion, c’est la physique, l’espace, la technologie. Bref, la science, la vraie.
À cette époque, j’ai un job à temps plein. Pourtant, pendant mes pauses déjeuner, quand certains s’octroient un moment de répit, moi je file direct : je rentre chez moi pour corriger un ou deux articles sur ce blog un peu bancal que je viens de lancer. Je repars ensuite fissa au boulot, comme si de rien n’était. Le soir, rebelote : je bosse sur le site, je prépare des visuels, je planifie des posts. Et souvent, je suis en caleçon. Pas de chichi, pas de costume-cravate, juste un ordinateur, une passion, et un rêve un peu fou : populariser la science (à mon échelle).
Si on m’avait dit qu’on pouvait lancer un média de vulgarisation scientifique depuis sa chambre, en caleçon, j’aurais ri. Mais j’étais trop têtu pour renoncer.
2. D’un petit blog à la folle aventure Facebook
Au début, Trust My Science ne rapporte que quelques euros par mois, à peine de quoi me payer un kebab. Je pourrais lâcher, me dire que ça n’en vaut pas la peine. Mais je persévère. Je sens qu’il y a un public prêt à dévorer des articles de vulgarisation, des vidéos pédagogiques, des découvertes un peu décoiffantes.
Alors, je tente un pari audacieux : me lancer à fond sur Facebook. En 2016-2017, la plateforme est encore un véritable Eldorado pour qui sait manier l’algorithme. Et moi, je le malmène comme un dingue. J’enchaîne les publications, je propose des vidéos courtes, des visuels accrocheurs, des anecdotes sur l’espace, la physique ou la médecine. Et là, surprise : les abonnés arrivent par milliers, puis par centaines de milliers. Je passe de 1 (moi-même) à plus d’un million d’abonnés en seulement quelques années. C’est complètement fou.
Évidemment, je ne vais pas m’auto-congratuler : c’était dur, ça demandait un boulot titanesque. Beaucoup, en voyant la page Trust My Science, pensaient qu’on était une équipe de dix ou vingt personnes. Ils avaient tout faux. J’étais tout seul aux manettes de Facebook. Le blog, c’était moi. Le développement du site, c’était moi. La modération, la planification, la création de visuels (même en 3D en 2023-2024 avec Blender), la correction des articles… encore moi. On avait bien sûr, dès 2016, de vrais rédacteurs pour écrire du contenu (bien que bénévoles durant les premiers mois), mais le reste, je le gérais en solo.
On me demandait souvent “Mais vous êtes combien derrière TMS ?” Je répondais “On est un”. Ambiance chelou.
3. Petit bilan chiffré (2016-2019)
Pour vous donner une idée de l’évolution, voilà un mini-tableau (approx.) :
Année | Abonnés Facebook | Visiteurs mensuels (approx.) |
---|---|---|
2016 (déb.) | 1 | 5 000 |
2016 (fin) | 50 000 | 100 000 |
2017 | 300 000 | 1 000 000 |
2018 | 800 000 | 2 000 000 |
2020 | 1 100 000 | 3 000 000 |
Quand je revois ces chiffres, je me dis que c’était un énorme bond en avant. La mayonnaise a pris, et Trust My Science s’est imposé comme un acteur majeur de la vulgarisation scientifique francophone. Mais moi, derrière mon écran, je ne me rendais pas vraiment compte de l’ampleur du truc jusqu'en 2017. J’étais juste content de pouvoir enfin rémunérer quelques rédacteurs, d’avoir les moyens d’héberger le site correctement, et de persévérer dans ce qui me passionnait.
4. L’apogée (2019-2021) : oui, mais à quel prix ?
Fin 2019, début 2020, je pense qu’on peut parler de l’apogée de TMS. On avait une audience énorme, un flux d’articles constant, un engagement phénoménal sur Facebook, une communauté qui réagissait à chaque post. Les partenariats commençaient à se multiplier. On me proposait de couvrir des sujets en avant-première, on parlait de Trust My Science dans des cercles spécialisés. Bref, c’était la fête.
Sauf que derrière les paillettes (imaginaires), il y avait la réalité : j’enchaînais des journées de 15 à 18 heures, week-ends inclus, jours fériés inclus. Je devais tout valider, tout vérifier, relire 90 % des articles. Et je ne déteste pas ça, attention. J’ai toujours aimé avoir la main sur la qualité éditoriale. Mais soyons honnêtes, c’est épuisant. Je n’allais pas tenir ce rythme éternellement.
À l’extérieur, on voyait le succès. À l’intérieur, je me transformais en zombie accro à la caféine.
5. Mars 2020 : l’arrivée du cauchemar COVID
Et puis, boum : en mars 2020, je tombe malade. Comme tout le monde, je me dis “C’est un petit coup de froid ou un petit COVIDUS”. Puis ça empire, j’ai des courbatures, une fatigue carabinée, mon cerveau semble enfumé. Au bout de quelques semaines, je comprends que ça ne passe pas. On finit par diagnostiquer un potentiel COVID long.
J’essaie de ne rien changer à mon rythme. Mauvaise idée. Les journées de boulot, déjà infernales, deviennent des séances de torture. Je dois coordonner les rédacteurs, mettre à jour la page Facebook, publier du contenu, coder… Tout en me sentant vidé, avec un brouillard mental permanent. Je me dis “ça va finir par passer”. Mais ça dure. Des mois. Une année entière à galérer, littéralement.
Quand tu te retrouves à lutter contre ton propre corps, la passion se transforme vite en fardeau.
6. Un an dans la brume (2020-2021)
Je ne veux pas faire pleurer dans les chaumières, mais cette période a été un enfer. Chaque jour, je m’efforçais de maintenir la cadence, de répondre aux demandes, de lire et relire des textes, de planifier des publications. Je dormais peu, j’étais lessivé en permanence.
Le résultat ? Une baisse inévitable de la qualité et de la quantité. Moins de vidéos, moins de posts, moins de sujets d’actualité chaude. Les algorithmes n’aiment pas ça : si on ne nourrit pas la bête, elle vous boude. L’audience a un peu stagné, puis a commencé à décliner. Des sites concurrents ou d’autres médias plus spécialisés ont comblé la brèche. Je le voyais venir, mais j’étais incapable de réagir assez vite.
Le COVID long, c’est le hold-up ultime : un an de brouillard, et tu regardes ton empire s’effriter sous tes yeux fatigués.
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7. Un léger renouveau en 2022
Heureusement, petit à petit, l’étau s’est desserré. Vers 2022, j’ai commencé à me sentir un peu mieux. La fatigue et le brouillard n’avaient pas complètement disparu, mais j’arrivais à reprendre pied. J’ai alors tenté de relancer la machine TMS. J’ai recréé quelques vidéos percutantes, corrigé nos stratégies sur les réseaux, poussé de nouveaux articles plus ambitieux. On a vu un léger regain d’intérêt.
Je ne vais pas dire que Trust My Science était revenu à 100 % de ses capacités, mais la tendance était moins morose. J’y croyais à nouveau. Je me disais : “Encore quelques mois, et on retrouvera la forme d’avant.” Mais la suite des événements m’a prouvé que les crises s’enchaînent plus vite qu’on ne s’en remet.
Quand on commence à respirer, on espère éviter la prochaine vague. Parfois, elle se pointe plus tôt que prévu.
8. 2023 : le raz-de-marée IA
C’est là que l’IA générative a débarqué en force. Et quand je dis en force, c’est un euphémisme. D’un coup, des myriades de contenus générés automatiquement ont inondé le web. Des articles, des posts, des vidéos… tout sortait par pelletées, quasiment sans contrôle. Certains éditeurs ont même commencé à remplacer leurs rédacteurs par des IA.
Pour un média comme Trust My Science, qui misait beaucoup sur la réactivité, c’était la tuile. Je me retrouvais concurrencé par des machines capables de publier 50 articles en une nuit. Certes, la qualité n’était pas toujours au rendez-vous, mais dans le grand bain des réseaux sociaux, ce n’était pas toujours la priorité des internautes. L’essentiel à ce moment-là, pour les algorithmes, c’était l’instantanéité, le buzz.
Se mesurer à des IA qui ne dorment jamais ? C’est comme courir contre un robot infatigable. Bonne chance.
9. Les revenus qui fondent comme neige au soleil
Du coup, la concurrence est devenue féroce. La rentabilité de TMS en a pris un coup. D’autant plus que j’avais besoin de rédacteurs humains pour garantir fiabilité et rigueur scientifique.
Ça m’a mis dans une situation délicate : je voulais maintenir la qualité, continuer à faire de la vulgarisation crédible. Mais je ne pouvais plus rivaliser en termes de quantité et de flux. Et les annonceurs, eux, regardent les chiffres. Quand tes courbes stagnent ou baissent, ils vont voir ailleurs.
Dans la jungle du net, le plus rapide bouffe les autres. Et dans cette histoire, l’IA est le lièvre.
10. Rester debout malgré tout
J’ai quand même essayé de tenir bon. J’ai codé des outils internes pour améliorer la productivité, j’ai fait des (centaines de) calculs pour optimiser le SEO, j’ai multiplié les canaux (YouTube Shorts, TikTok, newsletters). Mais honnêtement, c’était un vrai sac de nœuds. Les algorithmes des réseaux changeaient au gré du vent, les recettes publicitaires se réduisaient, et la concurrence, elle, n’attendait pas.
Je me suis retrouvé à bosser encore plus qu’avant. Si c’est possible. Une partie de moi se disait “Tu vas y laisser ta santé, encore une fois”. Mais je me sentais responsable envers la petite équipe rédactionnelle et envers la communauté. Je n’arrivais pas à baisser les bras.
Bosser 18 heures par jour en 2020 avec le COVID long, ou en 2023 face aux IA, ça revient au même : c’est du grand n’importe quoi.
11. Des algorithmes capricieux, encore et toujours
En plus de ça, on dépendait énormément des plateformes. Un jour, Facebook décidait de mettre en avant les vidéos, alors on misait sur des formats courts. Le lendemain, ils privilégiaient les posts textuels, alors on changeait de cap. Idem pour Google, qui modifiait son algorithme de recherche. Il suffisait d’une mise à jour et, pouf, le trafic s’effondrait d’un coup. Ton site ne charge pas en 1 seconde avec un réseau 3G et un téléphone que même ton arrière-grand-mère n'utilise plus ? Bye bye la mise en avant sur Google Discover et compagnie.
Le sentiment d’être à la merci de ces changements incessants était pesant. Je me disais que je n’avais plus vraiment la mainmise sur la destinée de mon propre média. On était tous dans le même bateau, certes, mais ce n’était pas rassurant pour autant.
Quand Facebook éternue, tous les petits médias se prennent une grippe carabinée.
12. Le dilemme : résister ou lâcher ?
Plus les mois passaient, plus je me rendais compte que je ne pourrais pas continuer éternellement de cette façon. La situation financière se dégradait, mes rédacteurs avaient besoin de salaires, j’avais des charges fixes, et surtout, j’étais encore en train de récupérer des séquelles du COVID long.
Certains amis me conseillaient de vendre, de « trouver un job plus stable », de “prendre enfin soin de moi”. J’avoue que l’idée me tentait autant qu’elle me brisait le cœur. J’ai mis tant de nuits blanches, tant d’énergie dans TMS… Tout plaquer ? Ça me semblait impensable. Et pourtant…
Abandonner un rêve, c’est comme se couper un bras. Mais parfois, c’est la seule option pour survivre.
13. La qualité humaine face au rouleau compresseur
J’avais quand même une petite lueur d’espoir : je me disais que, face à la vague de contenus auto-générés, l’humanité, la rigueur et la passion finiraient par reprendre le dessus. Que les gens, saturés de textes insipides, chercheraient des médias plus authentiques. J’ai donc continué à miser sur la transparence, la pédagogie, des sources sérieuses, des articles creusés.
Mais la question restait : aurais-je les moyens et le temps de tenir jusqu’à ce que le public se détourne de l’IA ? Rien n’était moins sûr. Les mois passaient, les finances descendaient.
Plus il y a de copies, plus l’original doit se démarquer. Mais encore faut-il tenir le choc (financier).
14. L’inévitable : la cession de Trust My Science
Arrive alors l’année 2024. Les bénéfices sont en berne, je suis sur la corde raide, la pression se fait intenable. J’essaie de discuter avec des partenaires, de trouver des investisseurs, de rationaliser les coûts. Ça ne suffit pas. En début 2025, je n’ai plus vraiment le choix : je dois céder Trust My Science à une autre société de médias.
Je ne vous cache pas que ça a été un déchirement. Mais la structure n’était plus assez rentable, on était trop vulnérables face aux IA et aux aléas du marché publicitaire. En avril 2025, je signe les papiers de la vente. C’est la fin d’un chapitre, long de presque 9 ans, commencé en caleçon, dans ma chambre chez ma mère.
Quand la passion ne paye plus les factures, on doit parfois appuyer sur le bouton d'arrêt d'urgence.
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15. La nouvelle page : The Last Journal
On pourrait croire que j’ai tout plaqué pour un job tranquille. Eh bien non. Parce que je reste un peu dingue, et surtout passionné.
Au moment même où je vois Trust My Science passer entre d’autres mains, je décide de relancer un nouveau projet : The Last Journal. Un média indépendant, audacieux, qui décrypte l’actualité techno-scientifique avec un ton tranchant et visuel. Un média où je peux être plus libre, plus incisif, où je peux questionner le sensationnalisme et revenir à l’essence même d’une information sincère et fouillée.
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Pourquoi The Last Journal ? Parce que j’ai envie d’un espace où la science et la technologie sont traitées sans complaisance, sans tomber non plus dans la diabolisation. Un endroit où on montre que l’IA peut être un outil formidable, à condition de garder un œil critique, une part d’humanité. J’ai vécu les dérives, j’ai vu ce que ça donne quand la quête de clics et de volumes prend le pas sur la profondeur. Je veux tenter un autre chemin.
Après avoir été écrasé par l’IA et un virus, j’ai encore la force de crier : “Dernier Round !”
Épilogue : l’ingénieur en caleçon n’a pas dit son dernier mot
Ainsi s’achève l’histoire de Trust My Science, du moins pour moi. Parti de zéro, j’ai pu en faire un média qui a compté dans la vulgarisation scientifique francophone. Je l’ai vu atteindre son apogée, puis décliner sous les coups de boutoir du COVID long et de l’explosion des IA. Finalement, j’ai dû le céder parce qu’il n’était plus possible de le maintenir à flots dans cette configuration.
Mais la passion ne me quitte pas, et je ne quitte pas la science. J’ai fondé The Last Journal, bien déterminé à continuer le combat, à faire entendre une voix différente, à partager mes coups de gueule et mes émerveillements.
Je ne sais pas si ce nouveau chapitre sera un succès total. Mais l’accueil est déjà incroyablement encourageant : plus de 1000 inscrits et 130 abonnés payants m’ont suivi dès le lancement, ce qui me donne une énergie folle pour la suite. Surtout que The Last Journal met encore plus l’accent sur la tech, mon domaine de prédilection depuis mes 6 ans. Et même si je ne peux pas prédire l’avenir, je ne regrette rien. Parce qu’au fond, j’aime trop la science et la technologie pour les laisser aux mains des seuls algorithmes et machines.
On peut perdre une bataille contre un virus et un essaim d’IA, mais la guerre pour une info sincère continue. The Last Journal est sur le ring, et il a de la dynamite dans les gants.
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Ensemble, on n’a pas fini de secouer la fourmilière. Et je compte bien y mettre toute mon énergie. C’est reparti pour un tour… même si, parfois, je bosserai encore en caleçon.