Quantique : un seul qubit pour hacker l’Internet ?
Casser un mot de passe avec un qubit ? Oui… mais il faut l’énergie d’une étoile.

Imaginez un instant qu’on vous dise : « Vous pouvez briser n’importe quel chiffrement RSA avec un seul bit quantique (qubit) ». Sur le coup, cela ressemble à la promesse d’un super-vilain de film de science-fiction. Un seul qubit, là où l’on pensait qu’il en faudrait des millions ?! La communauté scientifique a de quoi écarquiller les yeux. En 1994, Peter Shor avait déjà montré qu’un ordinateur quantique serait capable de factoriser des nombres gigantesques en un temps “polynomial”, ridiculisant les meilleurs algorithmes classiques. Théoriquement, ce fut la claque : si on pouvait construire une telle machine quantique, des systèmes de chiffrement entiers, du RSA à l’ECC, s’effondreraient comme des châteaux de cartes. Sauf que... il y a un gros mais. L’algorithme de Shor, pour casser une clé RSA de taille réelle, exige une véritable armée de qubits – et des qubits d’élite, sans erreur de surcroît.
En pratique, en 2025, RSA-2048 reste encore “astronomiquement difficile” à factoriser avec les ordinateurs existants. Personne n’a réussi à dépasser la barre d’un nombre de 48 bits factorisé par des moyens quantiques hybrides, malgré quelques coups d’éclat vite relativisés. Le rêve d’un Big Bang quantique renversant nos cryptosystèmes s’est heurté à la réalité : nos ordinateurs quantiques sont trop petits, trop bruités.
Bref, on pensait avoir compris le deal – pas de destruction de RSA sans des millions de qubits...
Et voilà qu’une équipe de Munich débarque fin 2024 avec un twist qui défie l’entendement : les chercheurs présentent un algorithme de factorisation quantique capable de trouver un facteur d’un entier N bits en ne manipulant qu’un seul qubit. Ainsi, plus besoin de foule de qubits, seulement 1 qubit et 3 oscillateurs quantiques dans leur concept expérimental, détaillé sur arXiv.
Le tour de passe-passe ? Utiliser ces oscillateurs, des systèmes quantiques à variables continues, comme chevaux de trait du calcul, pendant que le qubit solitaire joue le rôle du conducteur de char.
En somme, là où un bit classique ou un qubit ne voit que noir ou blanc, l’oscillateur, lui, perçoit toutes les nuances de gris.
L'équipe de recherche allemande derrière cette avancée, menée par Robert König de l'Université technique de Munich (TUM), a trouvé le moyen d’exploiter directement le spectre continu de ces oscillateurs pour réaliser l’étape clé de la transformée de Fourier quantique en mode continu. C’est la clé de voûte de la factorisation façon Shor : détecter la période cachée dans une fonction liée au nombre à factoriser.
Ici, les oscillateurs agissent comme un interféromètre analogique qui fait émerger ce motif périodique, pendant que le qubit se contente d’aiguiller et de lire les bonnes informations. En théorie, le résultat impressionne : factoriser un nombre de n’importe quelle taille devient possible en un temps raisonnable, et ce avec un seul qubit – là où Shor nécessiterait un qubit par bit du nombre (ou pas loin de cela).
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La promesse d’un nouveau paradigme quantique
Pour les auteurs de l'étude, ce n’est pas juste une énième prouesse mathématique : c’est une preuve de concept que l’ordinateur quantique universel n’est pas la seule voie.
Depuis 30 ans, on raisonne “qubits, qubits, qubits” comme mantra de l’informatique quantique. König et ses collègues ont décidé de penser à contre-courant : et si on contournait l’obligation de gérer des myriades de qubits en utilisant d’autres degrés de liberté déjà présents dans nos systèmes quantiques ? Leur travail montre qu’on peut faire tourner un algorithme quantique “intéressant” en n’utilisant qu’un minimum de qubits, complétés par des systèmes continus.
En l’occurrence, ils exploitent un montage hybride qubit-oscillateurs réalisable avec des technologies existantes (optique quantique, circuits supraconducteurs, etc.), et surtout indépendant de la taille du problème : factoriser un nombre de 1 000 bits ou 2 000 bits requiert toujours le même dispositif à 1 qubit + 3 oscillateurs (en théorie).
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C’est totalement contre-intuitif, je vous l'accorde. De plus, la plupart des experts pensaient jusqu'ici qu’imiter Shor avec moins de qubits n’apporterait rien, ou au mieux qu’on pourrait émuler quelques qubits par des oscillateurs sans résoudre le besoin d’échelle. Ici, c’est un autre cadre de calcul qui s’ouvre, exploitant la physique analogique du continu.
En clair, l’idée fait naître tout un imaginaire : pourrait-on repenser d’autres algorithmes quantiques sous ce prisme, et ainsi faire de vrais calculs quantiques avec bien moins de qubits qu’on ne le croyait nécessaire ? Les chercheurs de Munich en sont persuadés et explorent déjà comment adapter d’autres algos quantiques à leur “ordinateur” à un qubit.
Un qubit contre des milliers : le duel en image

Comme on le voit, le fossé est immense en matière de qubits requis. Les implémentations de Shor améliorées les plus efficaces aujourd’hui tablent encore sur de l’ordre de n qubits logiques pour factoriser un entier n-bits (par exemple ~1024 qubits logiques pour N=2048 bits), sans parler des millions de qubits physiques effectifs qu’il faudrait en raison de la correction d’erreurs.
À l’inverse, l’algorithme à 1 qubit de König et al. a un coût en qubits constant (1) – un exploit conceptuel inimaginable il y a quelques années. Mais avant de fanfaronner que RSA est mort-né, examinons l’autre face de l’histoire : car si le débit de qubits est minimal, l’addition se présente autrement sur la dépense énergétique et la complexité physique du procédé…
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L’énergie d’une étoile pour casser du chiffre ?
Il y a une raison pour laquelle les chercheurs munichois se gardent bien de clamer qu’ils ont vaincu Shor sur son terrain. Leur algorithme, aussi ingénieux soit-il, arrive avec une ardoise énergétique exorbitante. En exploitant les oscillateurs continus, on a certes évité de mobiliser des milliers de qubits, mais la facture se paie en énergie : plus le nombre à factoriser est grand, plus il faut pousser les oscillateurs dans des régimes extrêmes pour “voir” la périodicité recherchée.
Concrètement, cela signifie préparer des états quantiques avec d’énormes amplitudes ou des squeezings hors norme – bref, pomper une énergie gigantesque dans ces oscillateurs pour qu’ils accomplissent le même travail qu’une armée de qubits. Pour la faire courte : pour factoriser un grand nombre avec cet algorithme, il faudrait utiliser l'équivalent en énergie de plusieurs étoiles de taille moyenne !
On est donc encore très loin de l’ordinateur de bureau. Cette image, forcément, peut surprendre, mais elle n’est aucunement exagérée : selon König, pour factoriser des nombres d’ampleur cryptographique avec un seul qubit, il faudrait des oscillateurs dotés d’une énergie et d’une précision démesurées – inimaginables avec la physique connue. En clair, l’algorithme de König et al. est un joli concept théorique, mais inexploitable en l’état. C’est un peu comme si l’on avait trouvé le moyen de faire voler un avion tout droit avec une seule aile… en devant brûler l’équivalent de 100 tonnes de carburant par minute – la prouesse annule l’utilité.
Le groupe de Munich travaille d’ailleurs à réduire le coût énergétique en ajoutant plus d’oscillateurs ou en optimisant leur utilisation. Autrement dit, dès qu’on tente de rendre la chose plus réaliste, on se rapproche à nouveau d’une architecture avec plus de ressources quantiques et moins d’exigences extrêmes par ressource. Le pendule repart de l’autre côté.
Alors, faut-il jeter l’idée aux oubliettes ? Pas du tout. Même si son algorithme ne cassera pas vos mots de passe demain, cette démonstration ouvre un nouveau champ d’exploration. Elle suggère que nos critères habituels – nombre de qubits, profondeur du circuit, etc. – ne sont pas les seuls à considérer dans l’économie d’un calcul quantique.
On pourrait fort bien envisager des hybrides où quelques qubits pilotent des registres analogiques sur-vitaminés, un peu comme un petit processeur orchestrant des unités analogiques ultra-puissantes. C’est un changement de perspective intéressant, qui pourrait inspirer d’autres approches non conventionnelles en informatique quantique. Après tout, les premiers ordinateurs classiques ont aussi expérimenté des modèles analogiques avant que le tout-binaire ne s’impose. Peut-être qu’une future révolution quantique viendra de ces systèmes hybrides moitié discrets, moitié continus.
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Cryptographie : un frisson, puis rien
Pour la sécurité des données ici et maintenant, soyons clairs : cet algorithme à un qubit ne change rien à l’affaire. C’est un tour de force théorique, pas une menace concrète. Les experts en cryptographie peuvent dormir sur leurs deux oreilles… du moins pas plus mal (ou mieux) qu’hier.
En avril 2025, un article de PostQuantum dressait le constat que RSA-2048 restait invaincu et hors d’atteinte de tout ce que savants fous et ordinateurs quantiques avaient pu tenter jusqu’ici. Ce nouvel algorithme ne fait pas exception : il n’apporte aucune réduction exploitable des ressources nécessaires pour casser du RSA à grande échelle, puisqu’il échange juste des qubits contre une dépense énergétique infiniment prohibitive.
Même en combinant ce concept avec des améliorations existantes, on n’entrevoit pas de chemin pratique vers un cassage de RSA sans un ordinateur quantique généraliste de grande taille. Les failles dans la cuirasse RSA viennent plutôt d’autres directions : des approches hybrides quantiques-classiques jouant sur des réductions de lattices (comme dans la fameuse – et controversée – tentative chinoise de 2022) ou des algorithmes variationnels.
En effet, fin 2022, des scientifiques chinois clamaient, dans une étude publiée sur arXiv, avoir factorisé un nombre RSA-48 bits avec seulement 10 qubits, et avançaient pouvoir passer à RSA-2048 avec 372 qubits physiques optimisés. « Nous estimons qu'un circuit quantique avec 372 qubits physiques et une profondeur de plusieurs milliers est nécessaire pour défier RSA-2048 en utilisant notre algorithme », ont-ils écrit dans leur document.
Le buzz fut au rendez-vous – IBM avait déjà un processeur 433 qubits disponible fin 2022, de quoi faire trembler tout le monde. Las, il a rapidement fallu déchanter : les analyses ont révélé que ces méthodes hybrides repoussaient la difficulté sur la partie classique du calcul, qui explosait exponentiellement. Au final, le bel édifice s’est avéré un miroir aux alouettes quantique plutôt qu’un tueur de RSA. Aucune avancée fulgurante n’a concrètement rapproché RSA-2048 de la tombe – il demeure toujours aussi astronomiquement difficile à craquer avec les techniques connues.
En revanche, ce feuilleton rappelle une chose aux spécialistes de la sécurité : il serait dangereux d’être complaisant. La cryptographie post-quantique n’est pas un luxe, c’est une nécessité à moyen terme. Certes, on n’a pas encore de quantum killer opérationnel, mais les recherches progressent. On voit que chaque fois qu’une porte semble verrouillée, des chercheurs astucieux trouvent un passage secret (qu’il débouche ou non).
La trajectoire des avancées quantiques n’est pas une ligne droite. Peut-être qu’un jour, une idée aujourd’hui jugée impraticable (comme utiliser l’énergie d’une étoile, qui sait ?) deviendra réalisable avec des moyens détournés. Personne n’imaginait sérieusement, il y a 10 ans, factoriser autre chose que 15 avec un ordi quantique; puis est venue l’ère des 21, 35, 48 bits...
En parallèle, les ordinateurs quantiques grandissent : on parle déjà de machines de 10 000 qubits physiques en phase de prototypage (du côté d'IBM), et on vise le million d’ici une ou deux décennies si les courbes de progression se maintiennent. Or, on estime qu’avec quelques centaines de qubits logiques de qualité, on pourrait commencer à menacer des clés de 2048 bits via des versions optimisées de Shor.
Autant dire que l’échelle humaine de ces développements – décennie ou plus – correspond pile à l’horizon de renouvellement des standards de chiffrement. Les organismes comme le NIST n’ont pas attendu un miracle ou un mirage : ils poussent déjà de nouveaux algorithmes post-quantiques en prévision du jour où, qubit après qubit, les promesses de Shor deviendront une réalité technique.
Le mot de la fin : génie ou mirage ?
Le « qubit solitaire » de König et son équipe, c’est un peu le casse-tête chinois (ou bavarois en l’occurrence) de cette année. Un résultat à la fois éblouissant d’inventivité et pratiquement inutile dans sa forme actuelle. Génie quantique ou mirage stellaire ? Probablement un peu des deux. Comme souvent en recherche fondamentale, l’histoire jugera de son importance réelle.
Peut-être que dans quelques années, on s’apercevra que cette idée a ouvert une voie détournée vers de nouveaux algorithmes ou de nouvelles architectures. Ou peut-être restera-t-elle un joli coup sans suite, cité dans les notes de bas de page de la grande histoire de l’informatique quantique.
Quoi qu’il en soit, elle nous rappelle que le paysage des possibles est bien plus vaste que nos roadmaps technologiques du moment. Un seul qubit pour les factoriser tous ? Pas encore… mais la saga continue, et on ne va sûrement pas s’ennuyer.
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Sources :
- La nouvelle étude : Lukas Brenner et al., « Factoring an integer with three oscillators and a qubit », arXiv:2412.13164, 2024 (arxiv.org)
- Peter W. Shor, « Polynomial-Time Algorithms for Prime Factorization and Discrete Logarithms on a Quantum Computer », 1994
- Craig Gidney, « How to factor 2048 bit RSA integers with less than a million noisy qubits », 2025 (ar5iv.labs.arxiv.org)